Il y a huit ans que le groupe montréalais The Barr Brothers a lancé un album complet. Durant ce temps, la vie les a menés dans de nouvelles directions, personnellement et professionnellement, altérant la façon dont ils créent de la musique ensemble. Leur quatrième album studio, Let it Hiss, n’est pas qu’une nouvelle collection de chansons. C’est une œuvre documentant une transformation. L’enregistrement de ce disque a marqué un tournant : un moment de réflexion, une prise de conscience de leur vulnérabilité, et un rapprochement entre deux frères qui ont passé plus de trois décennies à jouer de la musique côte à côte.

« En 2022, nous nous sommes retrouvés à un point de rupture », confie Brad Barr, le guitariste, chanteur et principal auteur-compositeur de la formation. « Il était évident que quelque chose devait changer. La vraie histoire de ce disque est l’histoire de ce changement et tout ce qui a suivi. »

« Let it Hiss est ce qui est arrivé lorsque nous avons arrêté de faire semblant que tout allait bien et que nous avons finalement porté attention à ce qui se passait réellement », précise Andrew.

L’album s’ouvre sur une note minimaliste : une petite guitare mexicaine, le doux pouls d’un piano, un rythme épuré, et une voix porteuse d’abandon comme de force. « Take it from me », chante Brad, mais ce n’est pas un ordre : c’est une confession. Dès lors, l’album nous invite dans un espace où les imperfections n’ont pas été retirées, mais plutôt amplifiées, célébrées. L’honnêteté, la redécouverte et la confiance définissent ce disque dès cette puissante introduction.

L’enregistrement est devenu un miroir pour les frères. Le processus n’a pas commencé par le son; il a commencé par la vérité. Ils ont confronté non seulement des blocages créatifs, mais également des blocages personnels. D’anciennes habitudes. Des tensions latentes. Un deuil. Une évolution. Ils ont retrouvé un rythme à travers tout ça, en se donnant la permission de ne pas être obsédés par la précision.

Depuis leur jeunesse, Brad et Andrew jouent de la musique ensemble. On les a vus au sein du groupe rock inclassable The Slip, puis en tant que The Barr Brothers, mariant la musique roots américaine à des textures expérimentales afin de créer quelque chose qui leur est unique. La profondeur émotionnelle et les arrangements complexes de leurs chansons ont conquis de nombreux fans à travers le monde, en plus d’impressionner des légendes de l’industrie.

Le titre représente une philosophie. « Ça cadrait parfaitement avec notre état d’esprit », estime Andrew. « De laisser le sifflement (hiss) dans le mix. L’inconfort, les imperfections, l’effort. On a arrêté d’essayer de tout nettoyer. Soudainement, la musique a recommencé à respirer. Elle a recommencé à être amusante. »

Il y a assurément un sentiment de joyeux abandon dans Let it Hiss qui n’était pas aussi perceptible sur les disques précédents des Barr Brothers. Ça s’entend sur l’hymne à la route « Run Right Into It » (avec Elizabeth Powell de Land of Talk) et le reggae ludique de groupe de garage de « She Doesn’t Sleep With the Covers On ». Mais Let it Hiss n’abandonne pas pour autant les ballades intimes qui ont fait la réputation de la formation : « English Harbour » est une superbe chanson folk avec des harmonies lumineuses par leur ancien camarade de tournée Jim James de My Morning Jacket, et « Moonbeam » est une sérénade soul avec des cordes somptueuses qui est rendue encore plus sophistiquée par la présence vocale de la polyvalente artiste art-pop québécoise Klô Pelgag.

Let it Hiss possède une qualité intemporelle, évidente dans une chanson telle que « Naturally », un clin d’œil à l’époque classique des artisans qui trouvaient un parfait équilibre entre mélodie et message. C’est une musique qui fait confiance à l’auditeur, se déployant graduellement, avec des arrangements qui font preuve de retenue tout en étant ambitieux. Le cœur du disque est possiblement « Owning Up to Everyone », une pièce qui cristallise l’esprit du projet. « Celle-là a ouvert une porte », se rappelle Andrew. « On sentait qu’elle nous menait ailleurs. »

Toute l’exploration musicale spontanée et les bouleversements émotionnels qui caractérisent Let it Hiss ne nous préparent pas pour la finale de l’album, « Upsetter », une éruption de rock 'n’ soul aux accents punk avec un solo de guitare absolument hallucinant. Sans exagération, c’est la chanson la plus furieusement intense que les Barr Brothers ont enregistrée de leur carrière, poussant la philosophie de « Let it Hiss » à son paroxysme, presque assez pour faire exploser le vumètre. « On s’est dit : “bon, il n’y a aucune chance qu’elle se retrouve sur le disque”, car ça détonne peut-être trop avec ce à quoi nos fans sont habitués », raconte Brad. « Mais je crois que nos fans apprécieront que nous nous laissions être qui nous sommes, ce qui inclut quelque chose comme ça. »

Brad et Andrew ont réalisé Let it Hiss eux-mêmes, travaillant principalement en duo dans leur studio de Montréal. Pour mettre en valeur l’aspect brut et complexe de l’album, le groupe a fait appel à l’ingénieur de mixage Jon Low (The National, Taylor Swift, Bon Iver). Ils pouvaient par ailleurs compter sur des collègues de leur vaste communauté musicale pour prêter leurs voix, instruments et textures aux chansons qui en avaient besoin. Ces collaborations donnent moins l’impression d’être des apparitions d’invités spéciaux qu’un prolongement naturel de la musique. La plupart de ces relations ont été bâties au fil des ans sur scène ou en studio, avec un engagement commun pour leur art. Ainsi, Let it Hiss s’impose comme à la fois leur disque le plus personnel et le plus collaboratif.

Let it Hiss est moins une réponse qu’une révélation. Il invite les auditeurs à s’approcher et à être attentifs. Alors que les Barr Brothers entament un nouveau chapitre, une chose est claire : ils se sont retrouvés et ce faisant, ils ont retrouvé leur chemin vers la musique.

Et le reste appartient à l’hiss-toire.